Que font les gestionnaires d’ETF avec les droits de vote des titres qu’ils détiennent?
Historiquement, il y avait la gestion active. La seule. La vraie. L’investisseur, en achetant une action, devient actionnaire, c’est-à-dire co-propriétaire de l’entreprise. Et en tant que propriétaire, il a son mot à dire quant à la manière dont «sa» société est gérée. Du moins en théorie.
Lorsque l’investisseur préfère déléguer la gestion d’une partie de sa fortune à un gérant de fonds – fonds d’actions dans le cas présent – ce dernier, au travers de l’achat de titres, obtient une part du pouvoir de décision qui revient à tout actionnaire. Vu que le gérant du fonds dispose a priori d’une certaine force de frappe proportionnelle à la taille de son investissement dans la société, il semble logique qu’il en use dans l’intérêt de ses propres clients en tentant d’influer sur les choix proposés au vote des actionnaires lors des assemblées générales.
En revanche, lorsque l’investisseur préfère placer son argent dans un ETF, sous quel angle faudrait-il analyser la problématique des droits de vote?
Déjà, le choix d’un véhicule passif traduit un désir de s’exposer au marché de manière passive, c’est-à-dire indiscriminée envers toutes les sociétés composant l’indice répliqué par l’ETF. L’indice comprend en effet à la fois la société A et son concurrent, la société B. Une approche active amènerait possiblement à choisir une seule des 2 sociétés, celle qui offre les meilleures perspectives sous l’angle de la stratégie de gestion du fonds. Pour l’exemple, choisissons la société A. Le gérant actif pénalise donc la société B en ne lui allouant pas de capital. Et il pourra ensuite influer sur le futur de la société A au moyen de ses droits de vote. Par contre, le gérant passif se retrouvera avec les sociétés A et B en portefeuille et aura donc la possibilité de voter sur l’orientation des 2 sociétés.
D’où la question: si l’on a choisi la passivité, pourquoi voter?
Sans aucune condescendance dans le propos, un gérant d’ETF n’est pas un analyste financier. Son travail ne consiste pas à choisir les meilleures sociétés afin d’y placer l’argent de ses clients puisqu’il est obligé de détenir toutes les sociétés de l’indice. Son travail, pour schématiser, est purement comptable: faire en sorte qu’à chaque instant l’ETF réplique au mieux l’indice. Dès lors, dispose-t-il des compétences requises ainsi que des ressources nécessaires pour exercer ses droits de vote? Par ailleurs, si les investisseurs ont choisi la voie passive, sont-ils le moins du monde intéressés par une quelconque implication active dans la gestion des sociétés détenues? L’investisseur passif a fait le choix d’une exposition globale à un marché, à moindres frais et avec une liquidité (supposément) élevée. A priori, le vote en AG ne l’intéresse pas.
Mais si les gérants d’ETF ne votaient pas, ce serait une forme de gaspillage que de voir tous ces droits de vote inutilisés. Dès lors, pourquoi ne pas les monétiser en les louant au travers de mécanismes de securities lending ? L’investisseur en ETF – qui a entre autres choisi ce type de véhicule pour ses frais peu élevés – y trouverait son compte en récoltant ainsi quelques centimes qui abaisseraient d’autant les frais de gestion prélevés. D’ailleurs, un gros marché existe pour les prêts de titres afin de répondre à la demande des vendeurs à découvert (short sellers) et les fournisseurs d’ETF en ont historiquement été de gros pourvoyeurs. Sauf que, si cela ne pose aucun problème dans le cas des short sellers, il en va autrement dans le cas des activistes car de nombreuses juridictions ne permettraient pas ce type de mécanisme assimilable à de la collusion, ou imposeraient des procédures de déclaration assez lourdes. Le gérant passif conservera donc une partie de ses droits de vote et l’opportunité de devenir quelque peu actif…
Et cela tombe bien, car aujourd’hui un nombre croissant d’investisseurs passifs aimeraient également être actifs sur certains tableaux. Déjà, l’interprétation du concept «passif» évolue avec l’apparition de nouveaux produits smart beta qui offrent désormais la possibilité de ne plus s’exposer à la totalité du marché mais uniquement à des facteurs de risques spécifiques ou d’effectuer des sélections de titres par filtrage suivant certains critères. Sans même parler de nouveaux ETF répliquant un indice des titres les plus détenus par des activistes (confusion totale des genres !!!)
L’investisseur devient donc moins passif en choisissant par exemple de favoriser des sociétés présentant de meilleurs scores ESG. Et peut-être souhaite-t-il que le gérant de son ETF utilise ses droits de vote afin d’influencer la politique des sociétés détenues. La thématique ESG est justement celle où les investisseurs passifs expriment le plus vivement leur désir d’être également actifs. Un nombre croissant de fournisseurs d’ETF s’engagent d’ailleurs dans cette voie. Cela demande néanmoins la mise en place des ressources nécessaires à la bonne gestion de ces droits de vote. Cette thématique sera traitée dans un prochain article.