Depuis 2016, les économistes et la presse spécialisée ne parlent plus que de lui, l’éléphant qui explique en un graphique les 25 dernières années de l’économie mondiale.
Cet article a été publié initialement le 13.07.2016 sur investir-funds.ch mais reste absolument d’actualité et permet de mieux comprendre certaines évolutions des dernières décennies. A lire et relire.
Bien entendu, l’artiste derrière ce graphique n’est pas n’importe qui, puisqu’il s’agit de Branko Milanovic, spécialiste du développement et des inégalités, professeur à la City University of New York, chercheur au Luxembourg Income Study Center et précédemment économiste auprès de la Banque Mondiale et auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier « Global Inequality: A New Approach for the Age of Globalization » vient de paraitre.
Le graphique de l’éléphant a été publié pour la première fois dans un papier de recherche de la Banque Mondiale en 2012 et montrait quels segments de la population mondiale avaient vu leurs revenus croitre le plus fortement en termes réels sur la période allant de 1988 à 2008. L’étude portait sur 120 pays et 90% de la population mondiale.
Ce graphique suscite tant d’enthousiasme depuis la sortie du dernier livre de B. Milanovic en avril parce qu’on y retrouve une des principales conséquences de la globalisation de l’économie sur les 2 dernières décennies, à savoir la création (et la redistribution) des richesses au niveau mondial.
Premièrement, le graphique indique une croissance moyenne du revenu réel d’environ 25% mais l’on constate que les plus pauvres (à l’extrême gauche) et la zone B sont inférieurs à cette moyenne, voire proches de zéro, alors qu’une large partie de la population autour de la zone A a plus fortement progressé, de même que les ultra riches (zone C : le top 1% au niveau mondial).
Ensuite, on constate que les revenus ont le plus fortement progressé (+80%) pour la population située aux environs du point A. L’auteur du graphique, qui dispose évidemment de l’ensemble des données a constaté que cette zone comprend presque exclusivement des individus issus de la classe moyenne chinoise ou indienne. Ceci n’est pas une surprise si l’on considère que le PIB de ces 2 pays a progressé annuellement sur la période de 5.6% et 2.3%. Une progression aussi spectaculaire de revenu, qui en a découlé sur 20 ans seulement, ne s’était pas produite depuis la révolution industrielle, il y a 200 ans.
Le point B indique quant à lui une zone de stagnation des revenus pour la tranche de population située autour du 85e percentile. Il s’agit essentiellement de personnes issues des classes moyennes inférieures des pays développés (à 70%). Plus à droite sur le graphique, les classes moyennes supérieures ont connu une croissance de leurs revenus inférieure à la croissance au niveau mondial.
Le point C indique quant à lui que le 1% des plus riches a énormément profité de la globalisation. Dans ce segment de population, on retrouve des habitants de pays développés dont 50% d’Américains.
Au final, même si les pauvres sont devenus moins pauvres, les inégalités ont fortement augmenté du fait de l’augmentation des revenus des plus riches. Chinois et Indiens ont le plus fortement profité de la mondialisation et il n’y a qu’un pas à faire pour dire que cela s’est produit aux dépens des classes moyennes des pays développés. Ces dernières sont donc les grandes perdantes de la mondialisation comme le prouvent les chiffres de cette étude. On comprendra donc plus facilement leur mécontentement et leur désir de repli sur soi, qui se sont exprimés – entre autres – à travers le résultat du référendum anglais et à travers la montée croissante des nationalismes depuis 30 ans. Ou encore par l’arrivée possible [au moment de la rédaction de cet article, et avérée depuis] d’un Donald Trump à la maison blanche…